Surf and trip

Dérives d’une surfeuse en herbe

Je me souviens de mon premier cours de surf. C’est avec une certaine excitation que j’ai enfilé ma combinaison pour aller à la rencontre des vagues bretonnes. Il ventait et pleuvait. On s’échauffe sur la plage, on court à l’eau et des cris de surprise s’élèvent sous les coups de fouet de l’eau fraîche. Ensuite on prend les planches, vague après vague, je ne voyais plus le temps passer. J’étais focalisée sur ma pratique. Prendre ses premières mousses, se lever pour la première fois avait quelques choses d’exaltant et nous sommes tous repartis détendus et souriant. Arrivée au Japon, j’étais résolue à continuer le surf et je suis devenue une habituée des spots autour de Tokyo. Je n’hésite pas à faire une heure trente à deux heures de trains pour rejoindre les plages le week-end même lorsque les conditions se révèlent difficiles. Ce magnétisme qu’exerce le surf sur moi et bien d’autres m’a poussé à m’interroger sur ce que la pratique pouvait apporter au plus profond de soi-même. Elle en était devenue obsédante, nécessaire même. L’idée m’est venue qu’elle pouvait être une métaphore de la vie, sorte de confrontation par le jeu. J’ai retrouvé le plaisir de laisser les vagues mener la danse comme lorsque j’étais enfant et que je roulais avec joie dans l’écume. L’océan a cette puissance avec laquelle on ne peut pas négocier. Il mène le bal avec sa force brute mais, si l’on joue ses règles, il a ce pouvoir de nous inviter dans sa course folle. Lorsque les vagues m’accueillent avec fougue à mon entrée dans l’eau c’est comme pénétrer dans un temple où la terre n’est plus, un cosmos chaotique, sans cesse en changement. Il me faut être attentive, ramer, prendre des décisions rapidement, observer, jouer le jeu de cette vitalité qui nous entoure, aller à la rencontre de la vague pour combiner son énergie à la mienne et avancer vers le large. Savoir où je peux progresser et où je dois m’arrêter. Des fois, la faute ne pardonne pas. Avec la chute, apprendre à se laisser chambouler en gardant son calme, attendre, se relever, reprendre ses esprits pour mieux repartir. Noter mes erreurs pour pouvoir me dépasser. C’est la force du monde qui nous entoure qui s’exprime. La vie avec ses joies et ses revers. La vie telle qu’elle est avec ses chutes qui nous aveuglent et ses exaltations qui nous envolent. En surf, j’ai appris à me contenter de peu. Si les conditions sont mauvaises, je m’adapte. Chaque situation est propice à un nouvel apprentissage. Il y a ces vagues qui nous chahutent comme un troupeau désordonné et il y a ces couchers de soleil et ces houles qui nous portent. Mais quoi qu’il arrive, il y a cette exaltation au sortir de l’eau. Le corps collant de sel, le souffle court, les muscles encore chauds, les sens encore chamboulés. Et puis la détente, le relâchement, l’esprit sous l’emprise du bruit des vagues qui déferlent. Je me souviens de l’une de ces soirées ou un typhon avait laissé sa houle en souvenir de son passage et où les vagues avaient grossies. De retour sur la plage, je me sens hypnotisée. J’ai la tête pleine d’endorphine et l’horizon capte mon regard. Autour de moi, des familles, des passants, des couples qui regardent vers la mer la danse incessante des surfeurs qui se soulèvent, chutent, attendent, foncent, voltigent. Certains prennent des photos. Le bal est ouvert. L’Homme et la mer comme partenaires. Passion violente qui s’empare de nous pour nous étourdir et nous rappeler que la vie est ainsi, on ne peut que la danser, se transformer comme cette surface en perpétuelles ondulations. Chercher son équilibre, s’assouplir, tournoyer. Qui cherche la lutte, risque de couler, subir l’assaut, se sentir frustrer. Deux choix sont offerts. Prendre la vague ou être pris par elle. Des fois, elle part sans nous car nous l’avons manqué mais une autre suivra. Toute opportunité est bonne à prendre. Surfer la vie, lui donner un sens, y mettre son énergie ou la ramasser de plein fouet. Le surf est pour moi une excellente pratique pour garder l’esprit ouvert ou bien l’élargir, aller au devant de soi-même, apprendre à perdre et nous sentir combler de la moindre victoire qui s’offre à nous. Il permet aussi de rester attentif et de s’adapter à chaque instant, d’apprendre à gérer les revirements de situation. On se retrouve face à soi-même que se soit sur ou sous l’eau. Il faut accepter de prendre des risques pour évoluer, dépasser ses peurs tout en sachant se limiter. Chaque surfeur a son lot de joies et de galères dans un océan qui, dans sa grande générosité, ne fait pas de différence. Le surf a quelques choses d’universel, de fascinant, et surtout, il insuffle un grand vent de liberté en portant l’esprit vers quelques choses de plus grand, qui nous dépasse et qui nous appelle. Il est aussi communautaire, on se rencontre, on partage. On a fait le plein de bonne humeur jusqu’au prochain rendez-vous.

Commentaires fermés sur Dérives d’une surfeuse en herbe